vendredi, mars 10, 2006

L’information régionale : un territoire occupé

Drummondville, le 22 février 2006

Lettre ouverte pour le journal Le Devoir*

Par : Michel Morin, ex journaliste à Drummondville

Les débats concernant l’avenir de l’information se déroulent principalement à Montréal. Bien sûr les têtes de réseaux et les sièges sociaux y sont confortablement installés. Traversons le tunnel pour voir comment l’information se porte en région. Depuis les quinze dernières années, en fait depuis que les règles du jeu ont été assouplies pour permettre aux entreprises de presse de devenir plus concurrentielles, les régions ont été prises d’assaut par d’imposants bataillons médiatiques. Après la convergence, la synergie, la « montréalisation » de l’information et les sempiternelles restructurations, il y a urgence de s’intéresser aux conséquences du néolibéralisme sur l’information régionale.

Dans une société de sports extrêmes, de poutines extrêmes et de déodorants extrêmes, le néolibéralisme n’est, ni plus ni moins, que du capitalisme extrême. Les valeurs qui en découlent sont totalement en opposé à celles de l’information. D’un côté nous retrouvons la quête du profit à tout prix afin de nourrir des actionnaires boulimiques. Pour arriver à ce but ultime, les entreprises de presse doivent prendre des raccourcis pour faire entrer l’argent. L’éthique est devenue une fleur dans le tapis dans laquelle se prendre les pieds fait perdre des dollars. Le devoir d’objectivité et de recul que doit prendre un média s’est transformé en « partenariat ». Soudainement on épouse toutes les causes et on devient partenaire de tout ce qui bouge. Bref, on fait de l’échangisme commercial. Le néolibéralisme impose aussi une dictature qui fait que les gestionnaires régionaux sont devenus des petits colonels de service qui doivent imposer une culture de « oui chef, bien chef » à leurs soldats qui perdent beaucoup en colonne vertébrale. Enfin, l’intérêt financier a pris la place de l’intérêt public.

De l’autre côté, les valeurs journalistiques reposent sur la démocratie. Pour reprendre l’expression : « les journalistes sont les chiens de garde de la démocratie ». Selon le code de déontologie de la Fédération professionnelle des journalistes, ils doivent avoir un rôle critique, maintenir leur indépendance, être impartiaux et se tenir à distance des pouvoirs et de groupes de pression. L’intérêt du public doit primer sur l’intérêt financier. Bref, une lutte à finir : la dictature contre la démocratie, la censure corporative contre la liberté d’information.

Montréal est peut être à l’abri de ce combat, mais les régions et particulièrement les marchés tertiaires vivent pleinement cette dualité philosophique. Je vous citerai en exemple Drummondville. Oui, Drummondville! Cette ville qui est devenue un exemple pour son dynamisme économique devient aussi un bel exemple des effets du capitalisme extrême sur l’information. D’abord, une question pour les grands savants médiatiques de Transcontinental : « Avez-vous un règlement qui oblige vos éditeurs à devenir président d’une chambre de commerce et à siéger sur de nombreux conseils d’administration? » Voilà qu’après Saint-Sauveur, Drummondville doit vivre avec cette situation. Ici, je n’attaque pas la personne, mais le principe. Quand en plus la Chambre de commerce est subventionnée par la ville, voilà donc un ménage à trois incestueux. Notre courageuse Chambre devrait plutôt être en ligne de front pour dénoncer les monopoles de Transcontinental à l’écrit celui de d’Astral pour la radio et la création à Drummondville d’un journalisme corporatif, jaune et « licheux ».

Les hebdos sont devenus des Écho Vedettes pour les gens d’affaires. Pour conserver les budgets publicitaires on plie à la moindre pression commerciale. Surtout pas d’analyse, pas d’éditoriaux, pas de critique, pas de sujet qui porte à réflexion : seulement du « mince à vie intellectuel », une quantité industriel de photos de gens d’affaires qui remettent des chèques à des organismes et de la publicité ; un vrai « Truman show ». Les annonceurs demandent et les journalistes exécutent. Comme cet hôtelier qui exige que son nom apparaisse dans un texte journalistique comme lieu de la conférence de presse, ou une institution qui réussit à faire passer deux fois le même sujet car ses dirigeants n’étaient pas contents de la photo. Enfin, peut-on être objectif quand, lors d’une conférence de presse de la Chambre de commerce, un journaliste de Transcontinental pose des questions à la présidente qui se trouve aussi sa patronne? Ce ne sont que quelques exemples qui font que Drummondville, comme le disait la FPJQ, est un trou noir de l’information. La relation Transcontinental – Chambre de commerce (lire l’establishment) a, non seulement détruit le journalisme, mais a donné naissance une nouvelle culture journalistique qui est loin de respecter l’éthique et les valeurs démocratiques. Pis encore, au cours des deux dernières années, quatre médias indépendants ont pris le chemin du cimetière à Drummondville : un projet télé avec bulletins de nouvelles et émissions d’affaires publiques, un mensuel culturel, un quotidien internet et un hebdomadaire. De quoi réjouir « l’establishment » ; la ville est enfin nettoyée de médias indépendants.

Cela m’amène à relancer le débat sur une loi ou un encadrement quelconque qui éviterait ce genre d’incongruité. Actuellement, l’information régionale est entre les mains de gestionnaires montréalais qui sont très loin de nos réalités. Contrairement aux artisans de l’information d’une lointaine époque, ces gestionnaires sont des mercenaires de l’information régionale. Ils occupent ce territoire pour leurs propres intérêts et ceux des actionnaires. Les rapports pour un meilleur encadrement des entreprises de presse et un support adéquat aux petits médias indépendants s’empilent sans qu’on aboutisse à un consensus. Le Conseil de presse et la Fédération professionnelle des journalistes s’opposent à toute incursion des gouvernements dans ce dossier. Mais qui arrêtera cette détérioration de l’information? Combien de Drummondville devra-t-on compter avant que l’on agisse?

Pendant ce temps, les régions doivent vivre avec le débarquement des grandes chaînes médiatiques et avec le mouvement des pressions commerciales qui sera très difficile à renverser. À Drummondville le mal est déjà fait et comme si ce n’était pas assez, lors de l’arrivée d’Astral dans la région, un gestionnaire de Montréal est même déjà venu dire que « l’information ce n’était pas important ». Sachez que nous n’avons aucune leçon à prendre des cravates montréalaises. Et qui sont-ils pour juger qu’en région l’information ce n’est pas important? Ce type de réflexion est un geste de mépris et prouve que la réalité montréalaise est loin d’être la nôtre. Dans un monde qui devient de plus en plus complexe, où les écarts se multiplient, l’information prend tout son sens, en région comme ailleurs. Le journalisme c’est entre autre le pont entre ces écarts. Pour bien comprendre une communauté il faut vivre à l’intérieur de celle-ci.

Les régions doivent retrouver leur liberté de presse. À quand une action concrète? Et de Qui? Comme disait Nathalie Simard : « Le silence donne du pouvoir aux abuseurs ».

* Aujourd'hui 10 mars. Ce texte n'a pas encore été publié dans Le Devoir...