Le côté sombre de la radio de Radio-Canada en Abitibi-Témiscamingue
Voici un texte qui a été présenté le 3 août à la Conférence des élus de l’Abitibi-Témiscamingue. L'auteur, journaliste depuis plusieurs années, en a gros à dire sur la radio de Radio-Canada dans sa région...Mesdames et messieurs,
Chargés de l’implantation, en février 2 000, d’une station en Abitibi, trois employés-cadres de Radio Canada (SRC) ont organisé une parodie de sélection : cachotteries sur leurs activités, interprétation personnelle des règles d’embauche, mensonges. Rémi Villeneuve, Martine Hyppolite, et Claire Francoeur, ont, pour finir, trié un personnel néophyte ou importé de Radio Canada à Québec. Et puisque personne dans la nouvelle station n’était en même temps familier avec la langue, le métier, et la région, CHLM-FM s’est réfugiée dans l’institutionnel : « le ministre annonce ; Emploi Québec a enregistré » ; souvent dans un français de cour d’école, pour un auditoire comptant nombre de journalistes et d’animateurs chevronnés et volés.
C’est ainsi que cette région a hérité d’une radio de bas de gamme par les soins de trois fripons cornaquant une société d’État myope. L’intervention des députés fédéraux a évidemment été sollicitée : Pierre Brien du Bloc et Guy St-Julien du PLC, celle aussi du Conseil régional de développement (CRDAT) ; c’étaient les seuls recours à l’époque.
Les deux politiciens se sont abstenus. Je m’interroge depuis sur les rapprochements entre ce laxisme chez Pierre Brien, et un papier de moi dans La Presse du 13 octobre 1993 : « Des recenseurs se plaignent d’être rançonnés par le Bloc. ». L’article dévoilait les combines d’organisateurs politiques constituant illégalement un trésor de guerre en vue de la première campagne électorale de M Brien. J’ai repris cette information à Radio Canada, puis dans La Frontière de Rouyn-Noranda ; curieusement, un texte dans cet hebdo, un seul texte, est sorti illisible de l’imprimerie de Val d’Or cette semaine-là.
Je soupçonne des rapports du même ordre entre l’inertie de Guy St-Julien et un papier paru dans La Presse du 4 juin 1996 : « Pour sauver leur école, des parents bloquent les routes. » Les résidents de huit villages : Anglier, Fugèreville, Rémigny, Laforce, Moffet, Belleterre, Guérin et Thorne contestaient la décision de la Commission scolaire du Lac Témiscamingue, identifiée au Parti libéral, de fermer leurs écoles. Ce souque à la corde s’est conclu par un moratoire. Québec réglementait peu après la fermeture des dernières écoles de villages.
Le CRDAT n’est pas intervenu, lui non plus. Il a, dès lors, bénéficié d’une couverture attentive et bienveillante de la SRC ; jusqu’à récolter des éloges au moment de sa récente dissolution pour avoir : « gardé le cap pendant 40 ans ».
Curieux ce bilan de CHLM ! Le CRDAT est né d’un regroupement tous azimuts, dans le sillage du « Maître chez-nous » des années 1960, pour servir de porte-voix régional jusqu’à Québec et Ottawa. Il perd sa gauche, syndicats comme mouvements populaires, au début des années 1970. Intronisé « interlocuteur privilégié » quelques années plus tard par Québec, le CRDAT multiplie débats et consultations sous la supervision de l’OPDQ de Jacques Vézeau, puis du ministère des Régions de Robert Sauvé. Opérant comme une éolienne inversée, il traite de transport ferroviaire et par autobus, de gestion des forêts, de pérennité des ressources, de ruralité, de pauvreté ; toutes questions dans un état plus critique aujourd’hui qu’il y a quarante ans.
Le directeur de cet organisme, Guy Lemire, a retourné l’ascenseur dès juin 2 000, lors d’un colloque de l’Université Laval à Drummondville, en louant l’influence bénéfique de CHLM sur l’ensemble des médias de la région. Le CRDAT a aussi émis des communiqués flatteurs à l’occasion, comme celui du 13 mai 2002 réclamant pratiquement l’octroi du statut de service essentiel à cette petite radio alors en grève. De concert avec Radio Canada, enfin, le CRDAT a organisé un colloque sur le journalisme à Rouyn-Noranda à l’automne 2003, permettant à des participants aux marges du métier : agents d’information, enseignants, relationnistes, de jouer les gérants d’estrade aux dépens des intéressés.
Une évaluation un brin objective de CHLM trahirait pourtant l’omniprésence des communiqués et des déclarations officielles ; l’absence d’analyses et de mises en contexte. Loin de faire école, cette station laisse derrière elle un sillage de témoins mal cités : À l’époque du colloque de Rouyn-Noranda, un fournisseur alimentaire de cette municipalité déplorait : « Ils n’ont rien compris ! » ; un syndicaliste agricole et administrateur de la Société de développement du Témiscamingue (SDT) fulminait : « Le journaliste a menti pour tenir un scoop ! »
En réalité CHLM a rejoint le peloton des trois télévisions, cinq radios et cinq hebdos assurant une couverture locale et régionale de l’Abitibi-Témiscamingue. Elle a supplanté Radio Nord dans son rôle de diffuseur de la programmation de la SRC ; le réseau privé a pallié le manque à gagner en serrant la vis à son personnel, amorce d’une grève qui a duré deux ans.
La SRC peaufinait un troc du même genre au Témiscamingue, où elle prévoyait s’implanter dès 2000 dans la défroque de CKVM-Ville-Marie : les Témiscamiens en ont décidé autrement. La SRC a fait place nette en Abitibi, sans entraves on l’a vu, de sorte que trois personnes sont venues de Québec. « Des gens de grande expérience qui ont choisi l’Abitibi-Témiscamingue pour y poursuivre leur carrière, tranchait un rien méprisant Alain Saulnier, directeur de l’information à la SRC, on ne peut certainement pas leur en tenir rigueur. » Aucun de ces trois Québécois ne reste aujourd’hui ; aucun de ceux qu’ils ont supplanté, non plus !
Ces tripotages ont sonné le glas d’une petite agence de presse, la mienne, qui exportait vers une quinzaine de médias nationaux les nouvelles d’Abitibi-Témiscamingue. Cedrom-Sni, le portail Internet qui recense toutes les dépêches au pays, rappelle 660 articles sur des questions surtout économiques et sociales. S’y greffaient un nombre plus important de topos et de reportages diffusés à Radio Canada : service des nouvelles, CBC North, D’un soleil à l’autre, le Dépanneur, InfoCulture, le Midi-15, le Magazine économique, ou transmis à des radios privées. L’Abitibi-Témiscamingue a ainsi été, pendant presque trois décennies, la seule région périphérique du Québec bénéficiant d’une couverture nationale soutenue : « La médecine Fast Food fait mal aux régions » en mars 1999 ; « La réforme de l’Aide juridique » de 1993 à 1995 ; ou encore, « Volonté des élus de transformer leurs produits sur place. Rébellion des maires d’Abitibi-Témiscamingue » le 29 novembre 1986. Pierre Brien suçait son pouce, que je couvrais à mes frais les tentatives de relance de Tembec à Témiscaming, où il est réfugié aujourd’hui.
Le lâchage des communicateurs régionaux, en 1999, n’était pas un coup d’essai du CRDAT. Les jalonneurs escamotés par l’instauration du jalonnement sur cartes dans les années 1990 peuvent en témoigner ; ce service ultra-spécialisé a été transplanté sans bruit à mille kilomètres du camp minier principal, l’Abitibi. Les prospecteurs aussi sont passés à la trappe, victimes d’affairistes montréalais alléchés par l’abri fiscal des actions accréditives à l’exploration minière, incapables pour la plupart de différencier un gisement filonien d’une talle de bleuets. Le CRDAT n’a pas davantage pipé mot quand Abitibi-Consolidated a proclamé ses droits prioritaires sur la ressource de quatre régions, dont l’Abitibi-Témiscamingue, pour alimenter ses usines de 1ière transformation plus au sud (mémoire du 20 janvier 2003 à Amos devant la Commission sur la maximisation des retombées économiques etc.)
Alain Saulnier donnait la réplique à Guy Lemire au colloque de juin 2000 à Drummondville. La SRC, a-t-il soutenu : « accorde (maintenant) une meilleure place à l’information en provenance des régions dans ses bulletins nationaux et ses magazines. » Cedrom-Sni, un portail décidément indiscret, compile, radio et télé confondues, 21 nouvelles de la SRC diffusées au national en 2004 sur l’Abitibi-Témiscamingue ; il m’en alloue 47 pour l’écrit seul en 1999, dernière année d’opérations sans entraves. Qui plus est, toutes les émissions de la SRC utilisant les services de correspondants régionaux ont été retirées d’antenne ou reformatées vers la même époque. L’Abitibi-Témiscamingue, la Côte-Nord, le Saguenay-Lac St-Jean, etc. sont maintenant confinés à une émission fourre-tout le midi, du genre cage à hamsters, où quelques journalistes des stations régionales font un petit tour, vident leur sac, et puis s’en vont. Le temps des régions à la Première chaîne se résume désormais à quatre, voire cinq minutes par tranches de 24 heures. Des postes de cadres sont par contre créés à Montréal ; après avoir dirigé quelques années CHLM par téléphone, Rémi Villeneuve s’est plus récemment gossé un confortable fauteuil de directeur des stations régionales.
Son mandat enjoint à la SRC d’informer les gens et d’informer sur les gens, y compris ceux des régions. Mine de rien, la radio d’État relègue tout de même un tiers des Québécois, insuffisamment glamours ou exotiques au gré des sondeurs, au rôle d’éternels muets. C’était déjà la principale lacune relevée dans un inventaire des médias en Abitibi-Témiscamingue, rédigé par moi en 1974 pour le compte du ministère québécois des Communications.
Un quart de siècle passe ; Radio Canada implante une station en Abitibi. Las ! Le comité de sélection se contente de placards dans trois hebdomadaires, dont deux sont d’incontestables feuilles de choux ; ce qui laisse beaucoup de gens dans l’ignorance. Le trio écartera ensuite les gêneurs ; comme ce journaliste au chômage, réfugié à titre de taille-crayon chez Rémi Trudel, astucieusement assimilé au personnel politique. Ma mise au rancart est plus délicate, j’effectue le travail depuis 27 ans, et j’ai récolté quelques prix de journalisme. Qu’à cela ne tienne, les trois canailles m’expédient d’un coup-fourré : une entrevue et un refus de postuler inventés. Rien de tout cela n’est écrit puisque j’ignorais leur venue, je ne connaîtrai les détails de cette fable qu’en 2003 sous la plume du vice-président Sylvain Lafrance. Rémi Villeneuve vire alors casaque, et claironne que ma candidature a été écartée : « nous ne reviendrons plus là-dessus ! ». J’ai transmis la preuve de cette escroquerie (trois lettres provenant de la SRC) à la direction de Radio Canada, et porté plainte pour vol à la GRC. J’ai aussi dénoncé la dilapidation de fonds publics dans le financement d’une radio forcément inefficace auprès de la Vérificatrice générale du Canada, et du ministre du Patrimoine canadien.
Le sol s’est fissuré sous mes pas dès mes premières protestations en 2000. Les collaborations à Radio Canada se sont évidemment évaporées. Une série d’avatars a suivi sur un canevas répétitif, mais mystérieux pour un pigiste qui n’avait pas perdu un client en vingt ans : Un monsieur Tremblay de la comptabilité à La Presse somme subitement les téléphonistes de refuser mes appels en PCV. Il modifie le mode de facturation de mes textes. Des chefs de pupitre égarent mes nouvelles. Les articles rescapés suscitent des lettres de lecteurs pas toujours cohérents. Après des mois d’usure à ce régime, Éric Trottier, nouveau responsable de la rédaction, juge mon dernier papier du 26 juin 2003, « Attention aux échardes », terriblement ennuyant. Puis, M. Tremblay couronne treize années de collaboration en égarant ma dernière facture. Radio Canada compte décidément des obligés partout ; de sorte que d’une quinzaine en 1999, il me reste un client aujourd’hui.
Productrice de vignettes touristiques sur des images tournées ailleurs (La Presse du 8 juin 1998), l’Abitibi-Témiscamingue entretient des rapports équivoques avec l’information. Des documentaires, mi-promotion mi-information, grassement commandités dans les années 1970-80, n’ont connu que des tablettes poussiéreuses : CRDAT, associations touristiques, etc. Un tandem de Radio Canada, de mémoire Judith Jasmin et Pierre Nadeau, s’est mordu les doigts, il y a longtemps, d’avoir pointé sa caméra sur nos façades boom-town et nos ruelles non pavées. Boudé des hôteliers pour un texte acéré, Pierre Foglia se gratte encore d’avoir couché dans son char aux Jeux du Québec de 1973. Sa collègue Michèle Ouimet a été couverte d’injures, vingt ans plus tard, pour un portrait réaliste : « L’Abitibi-Témiscamingue, le pays du positivisme », deux pleines pages dans La Presse du 6 juin 1992, sur nos forêts épuisées, nos villes pas très belles aux habitants bourrés d’entregent.
Les héros de l’intégrité régionale se faisaient plus rares lorsque Québécor homogénéisait Les Échos abitibiens dans les années 1980, un journal, jusque-là, récipiendaire à répétition du Premier prix canadien des hebdos de langue française. On ne les a pas entendus pendant le déménagement à la pièce du siège-social de Radio Nord dans l’Outaouais, premier média en importance de la région. Ils sont restés indifférents lorsqu’un petit hebdo admirable d’intégration dans sa collectivité, Le Témiscamien, est mort de lassitude.
C’est là-dessus que Radio Canada inaugure une station vulnérable aux mystifications les plus grossières. CHLM évoquait, l’an dernier, la constitution de deux nouvelles aires protégées. La première, au lac Vaudray de Richard Desjardins, est peuplée d’arbres matures. Le second sanctuaire couvrira 246 kms carrés, dans le canton Dufay à 25 kms de Rouyn-Noranda. Personne n’a relevé que « ce témoin de l’état naturel de la forêt des basses-terres de l’Abitibi et de la baie James, » comme on dit joliment à Québec, est constitué d’un lac, le lac Opasatica, et d’un boisé mixte truffé de chemins forestiers pour avoir été coupé à blanc par Norbor Inc de La Sarre. Une débusqueuse au travail y a déclenché un gros feu de biodiversité, il y a quatre ans. Qu’importe : c’est pour être une courroie de transmission docile que la station de Radio Canada fait les délices de notre gratin politique comme administratif régional.
Ailleurs et mal payés, la majorité des journalistes composent avec des patrons allergiques aux mots de plus de deux syllabes, et aux textes qui débordent vingt-cinq lignes. Ils pataugent jusqu’à plus soif dans les mines, la forêt et l’agroalimentaire ; puis prennent la pause-café au même restaurant que les sujets de la veille. Leur routine s’égaye rarement : Sinon lorsqu’un chef de police est surpris à ruminer du foin d’accotement routier pour masquer son haleine. Ou quand la direction de la presse canadienne censure en mars 2002 : « Comme des invités de marque », de Léandre Bergeron sur l’éducation des enfants à domicile ; parce que Deirdre 20 ans, Phèdre 17 ans et Cassandre 15 ans, émasculent des agneaux pour aider papa.
Ces journalistes de la région ont crié, il y a longtemps, à la rupture localisée des stocks forestiers : ils ont frappé un mur d’ingénieurs et de fonctionnaires complaisants, de politiciens frileux. Il faudra attendre la renommée, la tête de cochon et les moyens de Richard Desjardins pour que le message passe. Il passe donc, mais trop tard pour gérer une pénurie ; ce sera la réduction imposée de 20 % de la possibilité forestière. Ce sont ces journalistes qui ont été spoliés par Radio Canada.
Ce mémo veut rappeler que trois voleurs : Rémi Villeneuve, Claire Francoeur et Martine Hyppolite, ont mis l’Abitibi-Témiscamingue à sac, au su, à tout le moins depuis 2003, de leurs supérieurs de la Première chaîne de Radio Canada. Bénéficiant de la complicité passive ou active d’acteurs régionaux, ils ont dépouillé ses artisans en communications d’une opportunité unique en cinquante ans : ce qui dans le contexte de l’Abitibi-Témsicamingue s’apparente à un génocide professionnel. Transplantant bêtement recettes et personnels venus d’ailleurs, ils ont dilapidé des budgets imposants dans une radio inefficace ; et muselé la seule voix de la région vers l’extérieur. Personne ne leur réclame de comptes, tellement la SRC a depuis longtemps oublié ses devoirs.!
Camille Beaulieu, journaliste
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